Les cœurs des enfants blessés par des 'prophètes de Dieu' 
Donat Muamba

MBUJI-MAYI, RD Congo , 5 déc (IPS) - Un dimanche, Beatrice Ndaya, 15 ans, est assise devant une table. Elle recopie ses leçons de français dans un centre d’hébergement pour filles, appelé 'Beetu Bana' à Mbuji-Mayi, au Kasaï-Oriental, dans le centre de la République démocratique Congo (RDC). 

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Beatrice vit dans ce centre depuis deux mois et est troisième d’une famille de sept enfants dont trois garçons. «Mes parents ont constaté que leurs activités ne tournaient plus normalement...et ont commencé à me soupçonner d’être une sorcière. Pourtant, je ne connais pas la sorcellerie, je ne sais même pas de quoi il s’agit», raconte-t-elle à IPS en sanglotant.

«Tout est parti d’une prophétie d’un 'prophète de Dieu', qui a dit à ma maman que j’étais sorcière et bloquais ses activités commerciales», explique-t-elle.

Le jour où Beatrice a été renvoyée de sa famille, ses parents ont brûlé tous ses habits, selon Tshilumba Kazadi, un habitant de Lukalenge, le quartier de la fille. Il affirme à IPS que depuis un temps, les parents de Beatrice ne voulaient plus d’elle. Ils avaient trop confiance en leur prophète.

Beatrice n’ayant plus de proches parents ici, a été récupérée par le Centre Beetu Baana des sœurs missionnaires de l’Evangile et du développement. Celles-ci l’ont rhabillée et scolarisée à nouveau.

«Mais nous apprenons que ses parents menacent de la tuer s’ils la croisaient en cours de route», signale Josiane Muwozi, qui prend soin de Beatrice dans ce centre qui compte actuellement 70 enfants âgés de trois à 17 ans.

Selon Muwozi, 60 pour cent des enfants du centre sont accusés de sorcellerie tandis que les autres y arrivent par manque de proches, après le divorce des parents ou le décès de l’un d’eux.

Les cas pareils cas sont nombreux, selon Augustin Kawulu, gestionnaire de la section des garçons du centre, à Mbuji-Mayi, la principale ville de la provinciale de Kasaï-Oriental. «Je gère 120 enfants vivant au marché, mais qui viennent juste passer la nuit ici», indique Kawulu.

Son rapport des six derniers mois montre que 55 pour cent des enfants qui transitent par le centre sont pris pour des 'sorciers' tandis que d’autres appartiennent à des parents divorcés ou décédés.

Luketa Kadilu, un garçon de 16 ans, vit depuis huit ans dans ce centre situé non loin du marché central de Dibindi, à Mbuji-Mayi.

«J’étais accusé de sorcellerie par ma marâtre qui m’avait finalement chassé de la maison, après la mort de ma mère», déclare Luketa, devenu pousse-pousseur de chariot ou parfois chercheur de voyageurs dans une gare routière.

«J’ai mis ma vie en danger, mais mon revenu d’environ quatre dollars par jour me permet de me nourrir, même tard dans la nuit», dit-il à IPS, affirmant avec ironie qu’aujourd’hui, c’est son père retraité qui envoie des gens lui demander une aide alimentaire. Mais il dit qu’il ne lui donne rien puisque son père avait refusé maintes fois de le réintégrer dans la famille.

«Le rejet des enfants est fréquent à Mbuji-Mayi au cours de cette dernière décennie», affirme Théodore Kaseya, chef de division provinciale des affaires sociales. Il estime que trois sur cinq enfants de la rue sont considérés comme des 'sorciers'.

Kaseya lie ce phénomène à la misère et à la prolifération des églises de réveil à Mbuji-Mayi. «Les pasteurs de ces églises font recours aux fausses prophéties pour conquérir les croyants», dit-il à IPS.

En 2006, l’Institut national de statistiques avait dénombré 5.025 enfants de la rue à Mbuji-Mayi. «Six ans après, ce nombre devrait tripler voire quadrupler», estime Kaseya, étant donné le grand nombre d’enfants errant partout.

Monji Tshibanza, un anthropologue, refuse de croire en l’existence de la sorcellerie. Pour lui, la sorcellerie est un esprit qui n’agit que sur celui qui y croit. «J’attribue cette croyance aux pauvres, car je n’ai jamais vu l’enfant d’un ministre taxé de sorcier», déclare-t-il à IPS.

En 2009, le ministère de la Justice avait recensé plus de 3.000 églises de réveil dans la ville. Mais, le nombre de centres de récupération d’enfants abandonnés ne dépasse pas 30, selon Kaseya. Ces centres appartiennent aux associations à but non lucratif qui ne reçoivent aucune subvention de l’Etat.

Odile Mbuya, une religieuse responsable des filles au centre Beetu Bana, affirme ne pas recevoir un appui du gouvernement pour le travail d’hébergement qu’elle fait depuis 1990.

Kester Mukeba, qui est père de 12 enfants, est sans emploi actuellement. Cependant, il dit croire en la vieille tradition ancestrale qui stipule que «les enfants sont une richesse, leur charge incombe à la société».

Mais Léon Mulumba, un avocat pour enfants, rejette cette conception. Il conseille plutôt un bon planning familial aux foyers. «La procréation doit aller de paire avec le revenu des parents», souligne-t-il à IPS, déconseillant de faire des enfants pour la rue ou le marché.

L’Etat devrait créer des centres des métiers pour les enfants pour leur préparer une vie meilleure, estime Tshibanza.

Suzanne Mboyo, ministre provinciale des Affaires sociales, reconnaît que le phénomène est réel. «Tout ce que nous faisons, comme Etat, c’est d’encadrer les responsables des centres de transit et les assistants sociaux sur l’accompagnement psychosocial en vue de réduire la vulnérabilité de ces enfants», déclare-t-elle à IPS.

L’Etat ne dispose pas de centres pour garder ces enfants, indique-t-elle. Il s’appuie plutôt sur les privés pour faire la médiation entre les enfants en rupture familiale et leurs parents. (FIN/2012)